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Manuel Valls veut que les discriminations au travail puissent être combattues collectivement

© Patrick Kovarik / AFP
Le Premier ministre, Manuel Valls, vendredi à Créteil
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L'idée n'est pas nouvelle mais tarde à se concrétiser : mettre en place une action collective pour combattre les discriminations au travail. Vendredi matin, le Premier ministre a confirmé qu'une telle réforme verrait bientôt le jour. D'autres mesures vont être prises, notamment des campagnes de testings en entreprise, dès cet automne.

Alors que la présentation des conclusions du groupe de travail co-piloté par les ministres du travail et de la ville sur la lutte contre les discriminations au travail est en principe imminente, le Premier ministre, Manuel Valls, ne les a pas attendues pour dévoiler vendredi matin, à l'occasion d'un déplacement à Créteil, son plan pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme. Parmi les mesures : la création d'une action de groupe en matière de discrimination. Il confirme ainsi l'annonce faite en février dernier par la Garde des sceaux, Christiane Taubira.

Les questions préalables à régler

Pour l'heure, pas plus de précision du côté de Matignon. Mais l'action portera notamment sur les discriminations au travail, assure-t-on du côté de la Chancellerie. Une telle réforme suppose toutefois de trancher entre une véritable action de groupe, comme cela vient d'être introduit dans le droit français en matière de consommation avec la loi du 17 mars 2014 et une action collective aux caractéristiques différentes. Car si pour l'heure, Matignon utilise le premier terme, il n'est pas sûr que ce soit à bon escient.

Les écueils à une véritable class action

La class action implique une solution globale et le regroupement de tous les dossiers. Or, en matière de discriminations au travail, il n'est pas sûr que ce dispositif soit le plus adapté.

Laurence Pecaut-Rivolier, lorsqu'elle était conseillère à la chambre sociale de la Cour de cassation, avait remis un rapport sur la question à Michel Sapin, à l'époque ministre du travail. Dans ce document, elle avait souligné certains des obstacles à une class action. D'une part, les associations qui luttent contre les discriminations ne sont pas implantées en entreprise. D'autre part, une réponse purement indemnitaire serait disproportionnée lorsque la discrimination est « involontaire ».

La sénatrice EELV, Esther Benbassa, dans un rapport adopté en novembre dernier, pointait des difficultés supplémentaires sur lesquelles pourrait achopper un recours collectif en matière de discrimination (et pas seulement en droit du travail). Elle s'interrogeait sur la spécificité même du contentieux de la discrimination qui est « par nature subjectif », ce qui soulève le problème de la constitution du groupe référent (sachant qu'un même fait discriminatoire peut avoir des conséquences différentes selon les victimes). Elle soulevait également la question de la réparation. En effet, la réparation intégrale nécessite une évaluation du préjudice à la fois individuelle et in concreto. « Aussi, en admettant que l'on introduise effectivement un recours collectif en droit français, il faudra nécessairement distinguer deux phases : une première phase, collective, de reconnaissance de responsabilité, et une seconde, individuelle, de réparation du préjudice », soulignait la sénatrice. Enfin, un tel dispositif se heurterait au régime probatoire. Aujourd'hui, expliquait la sénatrice, « dans la mesure où il appartient au défendeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il doit pouvoir connaître chacune des victimes pour pouvoir procéder à cette démonstration au cas par cas ».

Seul le député PS, Razzy Hammadi, dans une proposition de loi déposée en janvier 2014, soutenait une réelle class action ouverte aux associations dédiées à la lutte contre les discriminations et aux syndicats.

Une action collective devant le TGI

C'est d'ailleurs bien pour toutes ces raisons que Laurence Pecaut-Rivolier préconisait plutôt de mettre en place une action collective devant le TGI qui serait confiée aux organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, mais également au niveau national ou de la branche (afin de pouvoir intervenir dans les entreprises - notamment de petite taille - dans lesquelles il n'y a pas de syndicats implantés). Une telle action serait limitée aux cas dans lesquels l'entreprise n'a pas pris les mesures de nature à faire cesser, à une échéance raisonnable, les situations de discriminations collectives.

Et maintenant ?

Initialement, ces préconisations devaient être intégrées dans la loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes adoptée l'été dernier, mais la mesure a été repoussée. Selon les informations que nous avons recueillies auprès de la Chancellerie, la mesure devrait s'intégrer dans le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du 21e siècle qui sera présenté en Conseil des ministres en juin. Et, pour l'heure, si le rapport Pecault-Rivolier « a nourri les travaux du ministère de la justice », la Garde des sceaux ne compte pas « les reprendre intégralement ».

 

Et l'action en substitution ?
Aujourd'hui, les syndicats peuvent déjà agir et engager une action de substitution en matière de discrimination. Mais dans son rapport, Laurence Pecault-Rivolier note que cette action est rarement utilisée en partie car « les salariés acceptent mal de se trouver nommément dans une action en justice, alors que leur contrat de travail est en cours », craignant des représailles. Or, rappelle-t-elle, les salariés peuvent s'opposer à une telle action.
 
Lancement d'une campagne de testing à l'automne

Le gouvernement a annoncé d'autres mesures à venir pour lutter contre les discriminations au travail. Une campagne de testing dans les entreprises sera lancée à l'automne « afin de déceler d'éventuelles pratiques discriminatoires de recrutement ». Elle sera dévoilée cet été par le ministre du Travail, François Rebsamen, et le ministre de la Ville, Patrick Kanner. Par ailleurs, le gouvernement fera la promotion de méthodes de recrutement innovantes qui existent déjà comme l'immersion, le recrutement par simulation, le CV vidéo. Les pistes privilégiées doivent être dévoilées avant la fin du mois lors de la remise du rapport du groupe de travail. Le CV anonyme, lui, semble bel et bien être passé à la trappe.

Florence Mehrez
Ecrit par
Florence Mehrez
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