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Retraites : le gouvernement opte pour les 64 ans et l'accélération du calendrier Touraine

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Elisabeth Borne, hier avenue de Ségur à Paris
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Le gouvernement a présenté hier sa réforme des retraites : elle prévoit un relèvement de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, une accélération du calendrier Touraine qui accroit la durée de cotisation nécessaire pour toucher une pension complète. L'exécutif annonce aussi la création d’un index seniors, qui s’imposera aux entreprises, et d'un fonds visant à prévenir la pénibilité.

Jusqu'à présent, un salarié du privé souhaitant partir à la retraite avec une pension complète devrait remplir deux conditions. D'abord, avoir atteint l'âge de départ légal requis (62 ans). Ensuite bénéficier d'une durée de cotisation suffisante. Cette durée augmente régulièrement depuis la réforme Touraine de 2013, elle devait atteindre 43 ans d’ici 2035 pour la génération de 1973. Faute de trimestres suffisants, il faut attendre 67 ans pour bénéficier d'un taux plein (lire notre article).

Qu'est-ce qui change avec la réforme présentée hier par le gouvernement, une réforme pensée politiquement pour séduire les parlementaires LR ?

Le nouveau calendrier 

L'âge légal de départ est relevé. Autrement dit, même avec une durée de cotisation suffisante, ceux qui auraient pu partir à 62 ans ne le pourront plus, exception faite de certains cas, comme pour les carrières longues (lire ci-dessous). 

L’âge légal passera à 64 ans en 2030, à raison de 3 mois de plus par année de naissance, ce qui aboutira à un départ à 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Ensuite, la durée de cotisation, ou durée d’assurance : elle reste fixée pour un taux plein à 43 annuités, de même que le taux plein à 67 ans, un âge non modifié pour ne pas pénaliser ceux et surtout celles qui ont des carrières hachées, a dit Elisabeth Borne. Mais le calendrier Touraine est accéléré : ces 43 annuités seront nécessaires dès 2027, soit 8 ans avant le calendrier prévu. Cela provoque une augmentation de la durée d’assurance dès les générations nées à partir de septembre 1961, comme on le voit sur ce tableau :

Source : gouvernement

Une promesse de retour à l'équilibre dès 2030

Le projet du gouvernement, l’exécutif le justifie par le souci de remédier aux déficits du régime de retraite (12 milliards en 2027, 14 en 2030, etc.), Elisabeth Borne, la Première ministre, assurant : "Chaque euro cotisé servira à financer nos retraites, et à rien d’autre (...) En 2030, l'équilibre sera rétabli".

Le projet ne comporte donc aucune hausse de cotisations, que ce soit côté salariés ou côté employeurs, mais le gouvernement va prendre dans les caisses excédentaires de l'ATMP pour financer certaines mesures comme le fonds pénibilité.

"Une augmentation d’un point de cotisation retraite, ce serait 440 euros de revenus nets moyens en moins par an ! Nous n’infligerons pas cela à nos concitoyens. La seule option efficace, c’est de travailler plus longtemps", a martelé Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, selon lequel cette réforme apportera 17 milliards en 2030, "ce qui permettra de financer 4,2 milliards des mesures de justice".

Des mesures "de justice"

Parmi ces "mesures de justice", le gouvernement annonce d'abord un relèvement des petites pensions. Dès septembre, les retraites les plus modestes seront revalorisées de 100€, la réforme portant à 85% du Smic net la pension minimale. Selon le dossier de presse du gouvernement, cela représente un minimum de 1 200€ bruts. Cette mesure bénéficiera surtout aux femmes, a souligné Olivier Dusspot, le ministre du travail, qui a tout de même au passage annoncé l'arrêt du projet, très contesté par les partenaires sociaux, de confier la collecte des cotisations des régimes complémentaires aux Urssaf.

Par ailleurs, le congé parental sera mieux être pris en compte. "Chaque année, plus de 3 000 femmes pourront ainsi partir plus tôt à la retraite", calcule le gouvernement. Un geste sera également fait pour les aidants familiaux, qui bénéficiera à 40 000 personnes. Quant aux personnes en invalidité ou inaptitude, "un départ à 62 ans à taux plein sera maintenu" pour elles, a souligné la Première ministre en estimant que 100 000 personnes seront concernées chaque année. 

D'autres ajustements concernant les carrières longues et la pénibilité sont évoqués par l'exécutif.

Côté carrières longues : assouplissements

Le projet pérennise le fait que les personnes qui remplissent les conditions actuelles des carrières longues (durée d’assurance cotisée, 5 trimestres avant la fin des 20 ans) continueront de partir 2 ans avant l’âge légal, donc à 62 ans quand l'âge légal aura atteint 64 ans. Mais surtout, Olivier Dussopt dévoile le détail du nouveau dispositif "carrières très longues", qui bénéficiera notamment aux apprentis : les personnes ayant validé 5 trimestres avant 18 ans pourront partir dès 60 ans...sous réserve d’avoir cotisé 44 ans.

De plus, le dispositif applicable aux personnes ayant commencé à travailler avant 16 ans sera assoupli : elles pourront continuer à partir à compter de 58 ans, sous réserve d’avoir cotisé la durée d’assurance requise majorée d’une année, et non plus de deux années comme aujourd’hui.

La "justice" se fera par ailleurs davantage à la faveur des femmes souligne Elisabeth Borne. Ainsi, alors que les périodes validées au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) ne sont pour l’heure pas prises en compte dans la durée travaillée pour partir au titre des carrières longues, ce sera désormais le cas puisqu’après la réforme, jusqu’à 4 trimestres validés dans ce cadre pourront être pris en compte.

Au final, plus de Français seront concernés par le dispositif, 1 sur 5 arrivant à la retraite dans les prochaines années selon la première ministre.

Côté pénibilité : cap sur les reconversions

Sur la pénibilité, certains seuils seront modifiés, comme celui sur le travail de nuit (100 nuits par an au lieu de 120) et celui du travail de nuit en équipes successives alternantes (30 nuits par an au lieu de 50), ce qui fera entrer davantage de salariés dans le dispositif. Le gouvernement promet aussi de faciliter l’acquisition de points pour les salariés exposés à plusieurs risques.

Au total, plus de 60 000 personnes supplémentaires pourraient être couvertes par le compte professionnel de prévention, le gouvernement souhaitant booster les reconversions professionnelles (un point de C2P donnera un droit de 500€ de formation, au lieu de 375€, et le plafond de 100 points acquis sera supprimé).

Enfin, l’Etat promet la mise en place d’un fonds de prévention de la pénibilité doté d’un milliard d’euros.

L’enjeu de l’emploi des seniors

En repoussant rapidement l’âge de départ, le projet du gouvernement ambitionne donc de relever le taux d'activité des seniors. Même si ce taux a progressé ces dernières années, il reste assez faible en France : seulement 56,1% des 55-64 ans sont en emploi, selon la Dares. "Un taux révoltant, un gâchis", a cinglé Bruno Le Maire.

Toute une série de mesures visant à faciliter la retraite progressive et le cumul emploi-retraite (qui permettra à un travailleur d'améliorer sa propre retraite) devront concourir à redresser ce taux d'emploi, l'objectif étant de faire progresser de deux points dès 2025 et de 6 points à partir de 2030 le taux d'emploi des plus de 60 ans. 

Tout d’abord, les transitions entre l’activité et la retraite seront favorisées en facilitant l’accès à la retraite progressive et en l’ouvrant à la fonction publique ainsi qu’à l’ensemble des travailleurs indépendants. La charge de la preuve sera inversée au bénéfice du salarié et une demande de passage à temps partiel pour accéder à la retraite progressive sera autorisée sauf réponse contraire de l’employeur justifiant de l’incompatibilité avec l’activité économique. Dans la même optique, le cumul emploi-retraite deviendra créateur de droits (en améliorant la pension de la personne) et ses conditions d’exercice seraient déplafonnées.

Avec sa réforme, le gouvernement espère voir dans l'emploi 100 0000 personnes supplémentaires âgées de 55 à 64 ans en 2025, et plus de 300 000 encore en 2030. L'exécutif espère aussi convaincre dès 2023 les partenaires sociaux de négocier un compte-épargne-temps universel (CETU). Objectif : permettre à tous les actifs de mettre de côté leurs RTT ou jours de congés non pris dans l’année pour pouvoir choisir, plus tard, d’aménager leur temps de travail.

Un index seniors dès 2023

Le gouvernement compte aussi sur l’effet levier d’un index seniors, qui sera, selon la Première ministre, "simple et public". Cet indicateur, qui s’imposera aux entreprises de plus de 1 000 salariés dès cette année puis en 2024 aux plus de 300 salariés, permettra, selon le ministre du travail, "de déplacer la gestion des âges au cœur du dialogue social" en assurant "transparence, valorisation des bonnes pratiques, et identification des mauvaises". Les ministres n'ont donné aucune précision quant aux sanctions pour défaut de publication cependant. En revanche, il est ajouté que l’emploi des seniors deviendrait un objet obligatoire de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) en s’appuyant sur les indicateurs de l’index.

Enfin, le gouvernement a promis la fin des régimes spéciaux (RATP, IEG, clercs et employés de notaire, Banque de France, etc.).

 

► Le texte de cette réforme prendra la forme d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. Il sera présenté en conseil des ministres le 23 janvier, avant d’être examiné par l’Assemblée nationale et le Sénat à partir de début février, pour une application en septembre 2023.

► Réunis hier à soir à la bourse de travail de Paris, 8 syndicats de salariés du privé et d'agents du public (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU) ont appelé à une journée de grève et de manifestation le 19 janvier. Pour cette intersyndicale, cette réforme n'est pas justifiée par la situation financière des régimes et elle va "frapper de plein fouet l’ensemble des travailleurs et travailleuses, et plus particulièrement celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, dont l’espérance de vie est inférieure au reste de la population, et celles et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue"

Bernard Domergue et Elise Drutinus
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Bernard Domergue et Elise Drutinus