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Action de groupe : "un manque de pertinence et d’efficacité", selon A. Bazot

Alain Bazot, président de l'UFC Que Choisir
La loi Hamon a instauré l’action de groupe en droit français depuis quelques mois. Seules 15 associations de consommateurs agréées peuvent agir en justice pour défendre leurs intérêts dont l’UFC Que Choisir. Son président, Alain Bazot, fait un premier bilan de ce mécanisme complexe.

L’action de groupe est invoquée partout mais est souvent nulle part… Seules quatre actions de groupes ont réellement vu le jour depuis son ouverture en droit français. Alain Bazot dresse un premier état des lieux du dispositif.

► Cet article s’inscrit dans une série que nous vous proposerons tout au long de cette semaine…

Combien d’actions de groupe l’UFC Que Choisir a lancé depuis sa mise en œuvre par la loi Hamon ?

Nous avons lancé une action contre le groupe Foncia. La procédure engagée risque d’être longue. Le juge propose une médiation. Nous devons regarder si cela ne va pas trop prolonger la durée du procès et le coût de celui-ci. Nous avons agi le jour de l’ouverture de l’action de groupe, le 1er octobre 2014. Presque 6 mois après, le dossier n’a pas avancé sur le fond.

Pourquoi l’action de groupe est-elle si peu utilisée - pour l’instant - par les associations de défenses des consommateurs ?

L’UFC Que Choisir réfléchit à lancer d’autres actions de groupe. Nous nous sommes satisfaits de la mise en place d’un dispositif en la matière. On ne peut pas tout de suite le critiquer. Il faut tout d’abord le faire vivre en l’expérimentant. Mais nous avons déjà identifié, comme sans doute les autres associations, certaines difficultés de mise en œuvre.

Lesquelles ?

L’action de groupe manque souvent de pertinence ou d’efficacité. Contrairement à l’idée de départ, celle-ci n’est pas faite pour régler les petits litiges. Car si le préjudice individuel est trop minime, les consommateurs en fin de procédure ne viendront pas réclamer leur dû. Cela fait partie des défauts de l’action de groupe : les consommateurs ne sont avertis qu’en fin de procédure, une fois que toutes les voies de recours sont épuisées. Contre Foncia par exemple, 44 millions d’euros sont en jeu. Même si on gagne au Tribunal de grande instance (TGI), puis en appel, il existera encore une possibilité de pourvoi en cassation. C’est uniquement à l’issue de ce recours que les mesures de publicité décidées par le juge pourront être exécutées. Dans le cas de Foncia, ce sera de l’ordre de 120 euros à récupérer par personne. Ce n’est pas une somme mirifique mais suffisante pour que la plupart des locataires la réclame. Mais imaginons des montants de 4 ou 5 euros pour des millions de personnes. Bien peu de gens viendront les réclamer, et l’argent illicite restera donc dans les caisses de l’entreprise. L’action de groupe a été mise en place pour donner au droit à la réparation un principe de réalité, son efficience. Il y a, cependant, un côté moral qui n’est pas atteint dans le dispositif actuel.

Dès lors, l’action de groupe n’atteindrait pas sa mission principale ?

La portée dissuasive de l’action de groupe n’existe pas suffisamment à l’heure actuelle. Les entreprises qui mettent en place certaines pratiques illégales sont à l’abri. Récemment, l’Autorité de la concurrence a condamné des entreprises pour une entente portant sur les produits d’entretien et les cosmétiques. Les faits reprochés dans cette affaire remontent à plusieurs années. Mais pour l’achat de produits du quotidien par les consommateurs, le problème de preuve se pose. Qui a encore aujourd’hui son ticket de caisse remontant à quelques années en arrière ?

Que proposez-vous alors pour améliorer le système ?

Un autre système aurait été possible. Aujourd’hui, il existe un problème de financement de l’action de groupe car elle est à la charge des associations de consommateurs. Ce n’est pas la panacée. On aurait pu imaginer une condamnation plus rapide de l’entreprise pour le compte de tous les consommateurs. Et dans l’hypothèse où tous ne réclament pas leur indemnisation, alors le reliquat aurait pu alimenter un fonds servant à financer d’autres actions de groupe.

Existe-t-il d’autres difficultés à la mise en œuvre effective de l’action de groupe ?

Oui, il existe un problème concernant la liquidation des préjudices. Elle repose actuellement sur le professionnel ou sur l’association. Le professionnel n’est pas la solution, car cela pose la question de la garantie de son bon déroulement. Quant à l’association, elle n’est pas configurée pour gérer des demandes en masse de consommateurs venant demander le versement de leur indemnisation. On peut s’appuyer sur des cabinets d’avocats ou des huissiers. A l’origine nous voulions que les associations puissent s’appuyer sur les liquidateurs mais pour le moment le décret d’application a fermé la porte à cette solution de bon sens. En tout cas l’opération reste sous la responsabilité de l’association, ce qui est une lourde charge.

Que pensez alors des sites internet qui proposent un regroupement d’actions civiles afin, peut-être, de palier les défauts de l’action de groupe ?

Les cabinets d’avocats auraient voulu avoir le droit d’action, ils ne l’ont pas. Les associations de consommateurs ont un monopole qu’elles n’ont pas réclamé. Alors des professionnels du droit créent des ersatz. Les actions collectives lancées par ActionCivile.com en sont un exemple. Elles portent sur des dossiers où les consommateurs vont rapidement déchanter. Par exemple celui de l’assurance emprunteur ou celui des autoroutes : les promesses les enfument. Leurs droits individuels ne sont pas établis, l’action de groupe n’est donc pas sérieusement envisageable et en tout cas elle ne peut pas être intentée en dehors d’une association de consommateurs agréée. Une tentative de médiation est envisagée, mais au final, si le consommateur veut agir, il doit le faire seul et à ses risques et périls. On est dans de la pure communication qui instrumentalise la notion d’action de groupe et piège les consommateurs. Les professionnels eux ne sont pas dupes. Ils savent que ce site ne peut pas faire une action de groupe. Ce n’est donc pas une menace pour eux.

Qu’avez-vous pensé de l’initiative de l’avocate Corinne Lepage qui a pris fait et cause pour une « action collective contre la hausse des tarifs autoroutiers » ?

Madame Lepage amalgame tout : problème économique, problème juridique, dimension individuelle, dimension collective du préjudice dans une opération de pure communication. Sur le plan économique, je suis d’accord, la tarification semble totalement anormale, c’est notamment l’Autorité de la concurrence qui le dit. Mais on ne voit pas quel est l’argument juridique pour le consommateur. Dans l’action de groupe, il faut la violation d’une obligation légale ou contractuelle. Les autoroutes en l’occurrence ont des tarifs trop chers. C’est un fait. Mais, comment chiffrer le vrai prix ? Et déterminer ainsi le préjudice matériel ? On voit bien que la démarche est complètement farfelue sur le plan judiciaire. Si on parle de coup politique et médiatique de la part de Corinne Lepage, alors là en revanche c’est une réussite pour elle !

Propos recueillis par Adrien Schwyter
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Propos recueillis par Adrien Schwyter
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