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"Business partner" v. gardien du temple : et pourquoi pas les deux ?

Aujourd’hui, le directeur juridique veut être vu comme un "business partner". Capable de révéler des opportunités à son entreprise, de contribuer à sa création de valeur, il souhaite accéder à son comité exécutif. Et faire oublier son image de « gardien du temple ». Mais est-ce un sentiment partagé par tous ?

Pour être un business partner, faut-il ne jamais dire « non » ? Ou, au contraire, le directeur juridique doit-il assumer sa casquette de gardien du temple lorsque cela s'avère nécessaire ? Après tout, ces deux facettes sont-elles inconciliables ? Sentiments des uns et des autres recueillis lors d’une table ronde sur la « perception du droit et des juristes par les dirigeants et les opérationnels », organisée jeudi dernier dans le cadre du Business Legal Forum.

Pour le directeur juridique groupe d’Arkema, Jérôme Gandon, « les juristes ont le droit d’être les gardiens du temple, un peu plus qu’ils ne le croient ». Car le droit est à la fois « une contrainte et une opportunité », il le rappelle. « Il faut avoir la confiance de l’assumer pleinement », estime-t-il.

Être un gardien du temple parcimonieux

Faire éviter la prise d’un risque juridique à son entreprise demeure la fonction « numéro un » de la direction juridique. Son directeur doit-il alors arrêter de dire « non », pour ne pas être taxé de faire de l’excès de prudence ? Le tout est de s’y employer avec mesure, précise le directeur juridique d’Arkema : « Nous devons nous assurer que nous sommes au bon niveau de prudence (…). Si je sais que j’ai le bon degré de prudence, je n’ai aucun problème à tenir une position ferme sur une recommandation ». La clé reposerait donc sur la faculté du directeur juridique de savoir quand il est justifié de s’opposer à un projet business en fonction du niveau de risque juridique en présence. « Une fois qu’on est bien calibré, il faut assumer son rôle et son avis », poursuit Jérome Gandon. « Notre responsabilité est aussi de pouvoir empêcher de prendre une décision », insiste-t-il.

Tout dépend de l’entreprise dans laquelle la direction juridique est implantée. « Des entreprises sont extrêmement prudentes et d’autres sont risk takers », analyse Denis Musson, directeur juridique groupe d’Imerys et président du Cercle Montesquieu. Coller à la culture de son entreprise est ainsi primordial pour un directeur juridique. A qui il revient de définir « le profil et le niveau d’acceptation de risques de son entreprise », confirme-t-il. Tout en cultivant son « indépendance, pour ne pas se laisser aveugler par la seule ambition stratégique de son entreprise », énonce-t-il. Réfléchir à « comment la direction juridique va marquer la culture de son entreprise », c’est effectivement un élément crucial selon Christophe Roquilly, doyen du corps professoral et de la recherche de l’EDHEC Business School.

Gagner sa place au « comex »

Dans la salle, une directrice juridique rappelle que dans de nombreuses entreprises les directeurs juridiques n’ont pas encore accès aux comités exécutifs. Mais pourquoi ? « On n’a pas le niveau d’information suffisant », estime-t-elle. C’est aussi dû à la formation des juristes : « j’ai fait du droit et rien que du droit, je le regrette », poursuit-elle. Parfois, il est également répondu aux directeurs juridiques, qui se sont vus opposer un refus, que le comité exécutif fonctionne en formation resserrée et qu’il a fallu faire des arbitrages… « Il y en a plein qui n’en ont pas envie aussi », avance un contradicteur. Sans que les autres participants à la conférence n’expriment leur accord sur son point de vue.

Ce qui ferait la différence serait alors l’envie et la capacité du directeur juridique de participer à la décision business prise lors du comité exécutif. Le directeur juridique est, en effet, « solidaire de cette décision collective », rappelle Denis Musson. « On y est associé », insiste-t-il. « Avec, en contre-partie, la responsabilité partagée avec tous les autres membres du "comex" des bonnes ou mauvaises options qu'il faut accepter et assumer », souligne Denis Musson.

Certains directeurs juridiques ne sont pas membres du « comex », mais peuvent y être invités en fonction de l’ordre du jour. Jérome Gandon indique ainsi « bénéficier très facilement (…) d’un retour d’informations » sur ce qui s’y est dit. Pour lui, il ne faut pas se décourager : « Je parie que dans 10 ans nous serons tous aux « comex ». (…) C’est une question de temps ! ». Pour une autre participante, « la direction juridique fait partie des décisions du board ». Même si « le directeur juridique n’y est pas tout le temps ». Car, au-delà d’indiquer les risques juridiques qui peuvent survenir du fait de telle ou telle décision business, on lui demande « quelle est sa préconisation », explique-t-elle. On la consulte pour apporter une solution. Et c’est là la « grande différence entre l’avocat et le juriste », estime-t-elle. Ou tout du moins ce que doit cultiver ce dernier. Toujours « sa capacité d’influence », résume en somme un autre participant.

 

Sophie Bridier
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