A la une

Fini l’avocat en entreprise… Place à la confidentialité des avis des juristes !

Trois amendements sont portés au projet de loi Macron pour « classer confidentiels » les consultations et correspondances des juristes d’entreprise adressées à leur hiérarchie, leurs pairs et échangées avec leurs conseils.

Après la mise en échec de l'avocat en entreprise, trois amendements au projet de loi Macron souhaitent offrir aux juristes d'entreprise la confidentialité de leurs avis. L’un concerne les directeurs juridiques des grandes entreprises françaises, et s’appuie sur le statut d’avocat. Les deux autres s’adressent à l’ensemble des 6 500 juristes d’entreprise en France. Ils devraient être soumis aux députés de l'Assemblée nationale dans les prochains jours, l'examen du texte en séance ayant débuté ce lundi.

1ère piste : des directeurs juridiques « avocats » dans leur entreprise…

Porté par neuf députés UMP, le premier amendement permettrait aux directeurs juridiques français de grandes entreprises, qui sont également avocats, de conserver le secret professionnel attaché à ce statut. Secret dont ils ne peuvent jouir à l’heure actuelle.

Pour ce faire, serait ajouté un article à la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques afin d'autoriser l’avocat à exercer la fonction de directeur juridique dans les entreprises de plus de 5 000 salariés, soit 223 sociétés selon l’exposé des motifs de l’amendement. Un décret en Conseil d’État préciserait ensuite la teneur de la réforme.

…grâce à une légère modification du statut de l’avocat

En clair, il s’agit de proposer une modification à la marge du statut de l’avocat pour permettre un « cumul » de fonctions - celle d’avocat et celle de directeur juridique - sur le modèle de ce qui est prévu pour les avocats collaborateurs de députés ou assistants de sénateurs. A priori, « la profession d’avocat est incompatible avec l’exercice de toute autre profession », précise la loi de 1971. Mais pour permettre aux collaborateurs parlementaires de demeurer avocat, trois articles de deux décrets sur la profession d’avocat – l’un portant sur l’organisation de la profession d’avocat, l’autre sur les règles de déontologie de la profession – organisent une dérogation au statut général.

L’objectif de l’amendement est d’armer les directeurs juridiques d’un privilège de confidentialité pour contrecarrer les procédures de discovery - ou de recherche de la preuve - coûteuses et parfois jugées abusives par les entreprises. Ainsi, leurs avis demeureraient secrets car leur caractère confidentiel serait opposable au juge ou à une partie adverse dans le cadre de cette procédure.

L’amendement s’inscrit également dans une défense du droit français, par le maintien de directeurs juridiques de culture hexagonale dans les entreprises du CAC40. Aujourd’hui, face au défaut de confidentialité, plus d’une dizaine de sociétés du CAC40 ont préféré embaucher des avocats étrangers à ce poste, comme le rappelait Emmanuel Macron au moment de la discussion de son texte en commission spéciale.

2e piste : un secret professionnel pour les juristes

Les deux autres amendements (nos364 et 2143) répondent aux problématiques des 6 500 juristes d’entreprise. En prenant pour base le secret professionnel de l’avocat, ils proposent d’accorder la confidentialité aux consultations juridiques et aux correspondances du juriste, par une modification de la loi du 31 décembre 1971. Modification opérée via un ajout introduit à l’article de la loi dédié aux juristes (art. 38).

Ainsi, les consultations juridiques rédigées dans le cadre de l’activité de conseil, de mise en place de la conformité, ou de la préparation de la défense, au bénéfice de l’entreprise qui emploie le juriste ou de « toute entreprise du groupe auquel elle appartient », bénéficieraient de la confidentialité. Que ces consultations soient adressées à la hiérarchie, à un collègue juriste ou à un avocat. Il en irait de même des correspondances du juriste. Exception, comme pour le secret professionnel de l’avocat, les correspondances portant la mention « officielle » entre le juriste et l’avocat de l’entreprise ne seraient pas couvertes par la confidentialité. En somme, les amendements proposent une parfaite transposition du secret professionnel de l’avocat prévu par la loi du 31 décembre 1971 (art. 66-5).

Autre élément inspiré du statut de l’avocat (article 55 de la loi du 31 décembre 1971), incomberait au juriste d'entreprise l’obligation de respecter le secret professionnel et de s’interdire d’intervenir en cas de conflit d’intérêt. Seule nuance par rapport au secret imposé à l’avocat, et de taille, « ses obligations [du juriste] ne seraient pas opposables à l’entreprise qui l’emploie », précisent les deux amendements.

Là encore, le changement est jugé nécessaire pour mettre un terme à l’auto-incrimination de l’entreprise, du fait de la non-confidentialité des avis de sa direction juridique. Avis qui peuvent alors servir de preuve à charge dans une procédure de discovery. De même est avancé l’argument mettant en avant la réticence de certaines entreprises à localiser leurs activités juridiques en France.

Quelles chances d’aboutir ?

Lors de l’examen de la première mouture du texte en commission spéciale, les députés ont rejeté la création du statut d’avocat en entreprise, mais se sont montrés en grande majorité favorables à la mise en place de la confidentialité des avis des juristes.

Le premier amendement pourrait néanmoins être mis en échec par le même argument que celui agité pour sortir l’avocat en entreprise du projet de loi : celui du défaut d’indépendance du directeur juridique salarié et avocat. Inspirés du secret professionnel de l'avocat, les seconds vont peut-être aussi souffrir. Secret que certains députés estiment difficile à étendre au juristes d'entreprise. On rappellera, en ce sens, la position exprimée en commission par le député Denys Robillard (PS, Loir-et-Cher) : « Que l’entreprise ait droit au secret des affaires, oui. Que ce secret soit opposable aux juges, non. C’est la difficulté ». Une chose est sûre, le débat est lancé.