Le projet de créer un statut particulier pour les avocats salariés en entreprise est mort-né. Vite sorti du jeu, les députés l’ont exclu du projet de loi Macron dès son passage en commission. Mais pourquoi ? Sentiments recueillis auprès des députés qui, pour certains, sont aussi dubitatifs sur la question de la confidentialité des avis des juristes… Analyse des forces en présence.
Le député Alain Tourret (RRDP, Calvados) résume parfaitement l’argumentaire des opposants à l’avocat en entreprise ! « Permettre aux juristes d’entreprise de devenir avocat est une très mauvaise chose. Je suis avocat depuis 40 ans. Je le suis devenu pour être indépendant. En entreprise, le contrat de travail suppose un lien de dépendance, de subordination qui est inconcevable avec la fonction d’avocat ».
Avant d’ajouter, provocateur : « Quand j’entends dire que les juristes ont perdu des dossiers importants pour des problèmes de confidentialité… c’est une blague ! Ils ont été battus en rase campagne malgré tout le lobbying déployé. Des occasions comme celles-là, il n’y en a pas deux qui passent ». Ainsi, le parlementaire remet-il en cause l’argumentaire fondé sur la nécessité d’assurer la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. « Cette notion de confidentialité n’est pas inhérente à chaque document. Je n’ai pas bien compris quelle était l’importance des dossiers internationaux qui leurs échappaient ».
Plus mesuré est son collègue Richard Ferrand (PS, Finistère), rapporteur général sur le projet de loi Macron : « Le gouvernement voulait installer l’avocat en entreprise afin d’obtenir la confidentialité des échanges. Tout en précisant qu’il n’aurait pas eu de lien de subordination avec son employeur, ni pu plaider ni se constituer de clientèle personnelle. L’avocat en entreprise aurait donc été inscrit sur le « tableau B » des avocats et aurait ainsi obtenu le titre mais pas la fonction ». Le rapporteur rappelle alors qu’il « n’était pas partisan de la création de ce statut d’avocat hybride. C’était une mauvaise réponse, à une bonne question ».
Cette réforme a-t-elle échoué sous l’influence du lobby des avocats ? Richard Ferrand répond par la négative : « Je ne me suis pas payé le lobby des notaires pour céder face à un autre. Je n’y suis pas sensible ». Une ligne commune défendue par sa collègue Cécile Untermaier (PS, Saône-et-Loire), rapporteur thématique sur la partie du projet de loi concernant les professions réglementées : « Il n’y a pas eu de pression des avocats pour conserver leur pré carré. Nous ne voulons simplement pas aller vers un droit à l’anglo-saxonne ».
En réalité, nombre de parlementaires n’ont pas entendu le réel besoin des directions juridiques d’obtenir le secret professionnel dont bénéficie l’avocat.
Si les députés s’expriment facilement sur le sujet, ce n’est pas le cas des instances représentatives des avocats qui veulent unanimement « laisser retomber le soufflé ». Le Conseil national des barreaux (CNB) ne veut plus s’exprimer. Pas plus que la Conférence des Bâtonniers, ni l’Ordre des avocats de Paris. Certains redoutent la « création d’une nouvelle profession réglementée » alors que l’objectif affiché par le projet de loi Macron est de « libéraliser l’économie ».
Autre élément avancé par les parlementaires : le MEDEF n’aurait pas vigoureusement défendu la création de l’avocat en entreprise et la mise en place de la confidentialité des avis des juristes a minima.
Joëlle Simon, directrice juridique du MEDEF, réfute l’accusation. « Cette réforme aurait été utile pour les groupes internationaux. Mais il n’aurait pas fallu remettre en cause le lien hiérarchique du chef d’entreprise ». Avant de renvoyer la balle aux instances représentatives des avocats et à leurs divisions supposées. « Le problème est plutôt entre le barreau de Paris, qui y est favorable, et les barreaux de province qui ont une peur erronée de cette réforme. Nous en reparlons lorsque nous serons entendus au Sénat ».