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"Parler de Twitter en fac de droit peut être vu comme une dangereuse innovation", selon Bruno Dondero

Bruno Dondero, professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et directeur du CAVEJ
Utiliser la vidéo, des moocs et les réseaux sociaux pour enseigner le droit, c'est l'expérimentation que propose Bruno Dondero, professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui dirige le Centre audiovisuel d’études juridiques des Universités de Paris (CAVEJ). Il en fait état dans un livre.

Retour sur les bancs de la faculté de droit. Lundi 8 février, fin de matinée, je prends le chemin de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne pour assister à un cours en droit des sociétés du professeur Bruno Dondero. Les ordinateurs ont largement remplacé les copies doubles, trousses et stylos quatre couleurs auxquels mes camarades et moi étions habitués pour prendre nos notes. Les élèves sont désormais connectés. Ils suivent le cours, tout en surfant sur le net. Ils consultent leur profil Facebook, vérifient leurs notifications Twitter, et lisent, parfois, l’actualité entre deux transitions de leur professeur.

C’est à la lecture du livre de Bruno Dondero, « Droit 2.0 Apprendre et pratiquer le droit au XXIe siècle »*, que j’ai eu envie de l’interroger sur sa manière d’enseigner le droit à l’heure du numérique.

Qu’est-ce que le droit 2.0 en quelques lignes ?

Cela fait 4 ans que je propose mon cours en droit des sociétés à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Je procède, bien entendu, aux changements de mon cours imposés par l’évolution du droit des sociétés, mais, en dehors des mises à jour, je pourrais en théorie maintenir indéfiniment mon enseignement tel quel. Or, certains pans du cours n’évoluent pas ou très peu. Quel est alors l’intérêt de refaire la même chose à l’identique ? Se pose ainsi la question d’utiliser de nouveaux outils, telle que la vidéo, pour enseigner. Filmer les explications de certaines parties du cours peut, de plus, être utile aux étudiants pour réviser. Proposer dix conseils vidéos pour réussir son commentaire d’arrêt, plutôt que les répéter indéfiniment chaque année, est aussi une possibilité**. De même on pourrait remplacer une partie des heures de cours par des courts métrages, abordant des notions qui évoluent peu, laissant l’étudiant travailler à partir de ces vidéos. Cela peut être le moyen de dégager du temps pour le corps enseignant. Celui-ci pourrait, ainsi, se concentrer davantage sur la réponse à des questions des étudiants ou travailler avec eux en formation resserrée. La méthode d’enseignement la plus intéressante pour moi est l’interactivité. C’est ce que j’essaie d’expérimenter, autant que possible. Je n’envisage pas le remplacement total de mon cours d’amphi par du virtuel mais je suis convaincu que le numérique enrichit le présentiel.

Est-ce aussi un moyen pour le corps professoral de se remettre en question ?

Michel Guillou donne dix bonnes raisons aux enseignants pour ne pas recourir au numérique dans l’enseignement supérieur. « Vous avez parfaitement compris que fournir des terminaux numériques aux élèves conduisait inéluctablement à la contestation de votre enseignement », écrit-il. Son propos est drôle, mais il n’est pas que cela. Se remettre en question est cependant inéluctable, même si pour certains enseignants cela peut être brutal d’enseigner en ayant recours aux vidéos, à ce qu’offrent internet et les réseaux sociaux - Facebook et Twitter, notamment - afin de mettre en place un cours plus interactif. Certains ne le souhaitent pas. Certains pourraient même voir le simple fait de parler de Twitter en fac de droit comme une dangereuse innovation ! Le caractère traditionnel de notre enseignement est peut-être un gage de qualité, mais il n’interdit pas de s’interroger.

Via Twitter, vous indiquez à vos étudiants le thème que vous aborderez au prochain cours et leur proposez de vous adresser des questions. Est-ce une manière de faire de l’« auto-promo » ?

Les étudiants sont davantage mobilisés lorsqu’ils savent précisément sur quoi portera le cours. Certains posent encore des questions en levant la main. Mais pour d’autres, plus timides ou qui n’assistent pas au cours, c’est un canal supplémentaire. Je trouverais dommage de se priver de cette possibilité.

Les études de droit manquent-elles de praticabilité ?

Elles sont, au contraire, beaucoup plus proches de la pratique que beaucoup d’autres parcours d’études. L’avocat, le notaire, l’huissier, le magistrat utilisent le droit tel qu’il est enseigné en faculté. Il est vrai que les enseignants forment leurs étudiants au droit et non à une profession du droit. Notre rôle est de les rendre adaptables à la profession qu’ils choisiront. Nous n’avons pas à faire sortir de l’université des magistrats ou des avocats. C’est ensuite au tour des professions de les former à la pratique. Je trouve, cependant, que les études de droit gagneraient à être plus vivantes. Il est intéressant de montrer aux étudiants que ce qui est abordé en cours et qui leur semble purement théorique va au contraire leur servir. J’ai, par exemple, mis mon amphithéâtre dans les conditions d’un tribunal sur la base d’un cas pratique proposé en amont aux étudiants, en invitant des juges à venir tenir une audience et des avocats à venir plaider devant les étudiants. Ils ont ainsi pu voir comment les praticiens du droit utilisent les notions du cours pour répondre à un cas concret. La réalisation d’une vidéo de l’événement accessible en ligne sur le site de l’Université Paris 1 et sur mon blog, assortie d’une bande-annonce de quelques minutes, me permet de proposer cette illustration du cours à de nouvelles promotions d’étudiants.

L’École de droit de Science Po propose un enseignement qui se veut plus pragmatique (cours en format séminaires, ateliers pratiques, moot court, clinique du droit, etc.). Pourtant, dans votre livre, vous ne semblez pas convaincu par ce programme. Pourquoi ?

J’ai assuré un cours en droit des sociétés pendant un an au sein de cette formation en 2010. Le modèle pédagogique de l’École de droit de Science Po n’est pas celui des facultés de droit. La formation comporte 2 ans de droit sur le modèle américain. Mon constat, mais je ne veux pas généraliser à l’excès, était que les étudiants sortant de la rue Saint-Guillaume sont excellents pour réaliser une synthèse, rédiger et présenter un écrit. Ils n’auront pas, cependant, le réflexe de chercher ou de penser à un argument juridique car ils n’ont pas le même background qu’un juriste qui a passé 5 années à étudier les différentes matières du droit. A ce dernier, il reste différents réflexes juridiques de ses études. Je ne suis pas certain qu’il soit possible d’acquérir ces réflexes en 2 ans avec des cours accélérés.

 

 

Facebook, Twitter, le professeur Dondero a recours à ces outils pour permettre à ses étudiants de lui poser des questions.

Témoignage de Diane, élève en licence de droit

Expliquez nous comment cela se passe : Il nous est possible de poser des questions sur Twitter et Facebook avant et pendant le cours, de même qu’à l’approche des examens. Le professeur Dondero nous interroge également via les réseaux sociaux. Nous interagissons ainsi. Et cela permet à des étudiants timides, au fond de l’amphi ou tout simplement lorsque l’on rate un cours, de pouvoir le faire. Mes questions portent, par exemple, sur un élément du cours, mais aussi sur un point de jurisprudence, ou plus globalement sur un débat que je voudrais lancer à la lecture des actualités légales et judiciaires. Je lui ai demandé, par exemple, si la reconnaissance juridique du sexe neutre a un impact sur les questions de parité au sein des conseils d’administration. J’apprécie que l’on puisse poser des questions en amphi, car généralement il y a une barrière entre les étudiants et le professeur.

A quelle carrière vous destinez-vous et pensez-vous utiliser les réseaux sociaux dans votre métier après vos études de droit ? J’aimerais devenir avocate et mener une carrière en droit international. Il est évident que je continuerai à les utiliser. Je suis les journaux juridiques, comme Le Petit Juriste, des maisons d’édition telles que Dalloz ou la LGDJ et certains avocats, par exemple Maître Eolas. La pratique proposée par Bruno Dondero m’a poussé à aller sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, pour des raisons professionnelles. Au-delà de la lecture des articles rédigés sur son blog pour nous informer de l’actualité, qu’il nous propose via Twitter et une newsletter, son compte nous tient informé de tous les événements et articles rédigés par d’autres qui impliquent le droit des sociétés.

 

* « Droit 2.0 Apprendre et pratique le droit au XXIe siècle », Bruno Dondero, LGDJ, déc. 2015

**Par exemple, la vidéo* qu'il a mise en ligne sur YouTube compte aujourd’hui 31.000 vues

 

propos recueillis par Sophie Bridier
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propos recueillis par Sophie Bridier
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