A la une

Les legal tech et l’éthique

Conscientes de leur potentiel et de leurs responsabilités, les start-up du droit commencent à se doter de règles éthiques. Si la question se pose directement à celles qui délivrent un service juridique, elle concerne tout un environnement économique naissant.

En matière d’éthique, les start-up essuient les plâtres sur un marché de la justice en ligne encore inexistant il y a quelques années. La plateforme d’arbitrage en ligne eJust, fondée en 2015, a mis en place un comité éthique début 2017 afin de garantir l’intégrité de ses activités. « Nous devons créer un environnement sécurisé et légitime, définir des standards de fonctionnement afin de créer de la confiance et développer notre marque d’équité », déclare Amiel Feldman, avocat, fondateur d’eJust. S’il a mis 2 ans avant de réunir ce comité, le fondateur de la plateforme rappelle qu’avant de pouvoir rendre les process conformes, il faut créer des flux et de l’activité. Or, les entreprises de la legal tech sont récentes. C’est peut-être pour cette raison que peu s’intéressent encore à l’éthique. « A ma connaissance le sujet n’est pas encore généralisé, mais on peut relever notamment que eJust et Predictice ont récemment formalisé une démarche éthique forte dans leur domaine respectif de l’arbitrage et de la prédictibilité, gage d’une maturité de ces projets, mais aussi d’une attente forte de leurs partenaires institutionnels », observe Jean Benjamin, président de l’association Open Law. Predictice, créée en 2016, a en effet organisé le 26 avril la première réunion de son comité d’éthique. « Notre activité de justice prédictive pose des enjeux éthiques forts », reconnaît Louis Larret-Chahine, associé fondateur de Predictice. De son côté, l’association Open Law a réuni la diversité des acteurs du droit pour rédiger une charte éthique afin de pérenniser le marché du droit en ligne. Selon Jean Benjamin, les questions entre l’IA, les legal tech et l’éthique doivent être posées à plusieurs niveaux : « Le premier niveau, celui de la charte initiée par l’association, doit contribuer à créer de la confiance dans le secteur. Mais au-delà, chaque legal tech devrait réunir un comité éthique indépendant autour de sa propre activité afin de s’assurer du respect des engagements pris, tant d’un point de vue organisationnel que technologique, notamment au regard des algorithmes utilisés. Enfin, il nous paraît légitime de s’interroger sur les fondamentaux qui pourraient rapprocher ces démarches individuelles, et nous travaillons à les définir collectivement dans l’intérêt du justiciable ».

Pas de charte sans comité de surveillance

En l’absence de régulateur, le fondateur d’eJust a préféré prendre les devants. Il s’est d’abord doté d’une charte. Ce texte énonce les valeurs et standards qu’eJust s’engage à respecter pour créer une justice efficace et accessible en termes de coûts, garantir l’indépendance des arbitres, optimiser son service et la sécurité. « La délégation contractuelle de la justice aux arbitres soulève différentes questions éthiques, auxquelles la pratique actuelle a répondu, mais surtout dans le contexte de valeurs litigieuses élevées. Le traitement d’un nombre important de différends soulève les mêmes questions, mais des réponses fonctionnelles différentes doivent y être apportées », souligne le dirigeant. Puis il a formé un comité, chargé de la surveillance de la bonne application de ces règles, mais aussi du développement d’une réflexion autour des aspects éthiques liés à cette évolution des pratiques juridiques. Predictice a opté pour une démarche inverse en réunissant un comité éthique, indépendant, composé d’une dizaine de personnalités issues du monde juridique et de la recherche scientifique, chargé de définir les principes à suivre et les limites à observer. « Nous souhaitons nous donner les moyens d’avoir un impact positif sur le secteur de la justice, c’est pourquoi nous avons choisi cette organisation », affirme Louis Larret-Chahine. Grâce à un partenariat avec La Clinique de l’École de Droit de Sciences Po Paris, cinq étudiants suivront les travaux du comité afin de rédiger un livre blanc. « Nous ignorons quels principes ressortiront des travaux du comité, mais nous avons souhaité lui conférer des pouvoirs décisionnels et nous nous engageons à respecter ses décisions », ajoute Louis Larret-Chahine.

Des risques lourds de conséquences

Car les enjeux sont lourds. Pour Amiel Feldman : « En réunissant un conseil éthique composé d’un ancien garde des Sceaux et de certains des plus grands spécialistes en arbitrage, consommation et droits fondamentaux, eJust démontre son engagement à respecter les normes les plus astringentes de qualité et d’équité pour ses services d’administration de litiges. Comme ces services sont nouveaux, il est capital de fixer des standards à la hauteur des attentes de nos utilisateurs. ». Un avis que partage Louis Larret-Chahine : « Doit-on analyser des crimes et délits pour savoir où les commettre à moindre peine ? Comment appréhender les effets performatifs liés aux calculs effectués par les algorithmes que nous mettons en œuvre ? Il apparaît que le réel tend à se rapprocher de la préconisation proposée par l’algorithme, ce qui pourrait initier un nouveau risque et une spirale uniformatrice ». Le résultat livré par le robot pouvant ainsi à terme devenir un standard…

Enfin, les données juridiques ne se limitent pas aux données jurisprudentielles, les données contractuelles sont également sur la sellette. Bref c’est tout un écosystème qu’il faut réviser à l’aune du développement des plateformes numériques.

 

Véronique Méot
Ecrit par
Véronique Méot
Mots-clés