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État d’urgence : le nouveau dispositif en place

ALAIN JOCARD / AFP
Le premier ministre, Manuel Valls, lors du débat au Sénat sur l'état d'urgence vendredi dernier
ALAIN JOCARD / AFP
L’assignation à résidence et les perquisitions administratives sont largement renforcées, mais le texte comporte de nouvelles garanties procédurales. Sont-elles suffisantes ? Le texte est-il contre balancé ? Description d’une modification législative ayant essuyé peu de critiques du Parlement.

En moins de 3 jours, c’est la rapidité avec laquelle le projet de loi prolongeant et modifiant l’état d’urgence aura été adopté par les députés et les sénateurs. Déposé mercredi après-midi à l’Assemblée nationale, le texte aura connu peu de modifications avant d’être entièrement validé, en début de soirée du vendredi, au Palais du Luxembourg.

Un prolongement de l’état d’urgence sans modification procédurale

La loi prolonge ainsi l’état d’urgence, pour 3 mois, sur le territoire métropolitain, en Corse et Outre-mer - l’état d’urgence ayant également été décrété pour 12 jours en dehors de la métropole mercredi dernier -. L’état d’urgence pourrait ainsi être maintenu jusqu’au 26 février 2016, sauf si un décret en conseil des ministres décide d’y mettre fin. En 2005, suite aux émeutes des banlieues, l’état d’urgence avait également été prolongé pour 3 mois, avant qu’il n’y soit mis fin par anticipation début janvier 2006. Concernant la procédure pour mettre en œuvre l’état d’urgence et permettre son prolongement, il n’est procédé à aucune modification du régime prévu par la loi du 3 avril 1955. Ainsi, l’état d’urgence peut toujours être mis en place par décret en conseil des ministres pour 12 jours maximum mais doit être prolongé par l’adoption d’une loi (voir article 2 et 3 de la loi de 1955).

Extension du régime de l’assignation à résidence…

Les principales modifications de la loi de 1955 portent sur le régime de l’assignation à résidence et des perquisitions.

Le régime de l’assignation à résidence est considérablement étendu. La loi précise que « le ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne (…) à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Ce n’est donc plus une simple assignation « à résider dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée » d’une personne ayant une « activité dangereuse », comme l’imposait la loi de 1955. Le texte indique également qu’une assignation à demeurer à domicile est possible. Enfin, le nouveau dispositif détaille les prescriptions que le ministre de l’Intérieur peut imposer à l’assigné, telles que l’obligation de se présenter aux services de police, de leur remettre passeport ou autre documents d’identités, ainsi que d’être en contact direct ou indirect avec certaines personnes. A ces prescriptions, les députés en ont ajouté une supplémentaire suite au dépôt d’un amendement du gouvernement : le pouvoir du ministre de l’Intérieur d’ordonner le placement sous surveillance électronique mobile d’un assigné à résidence, précédemment condamné pour terrorisme, ou un délit recevant la même qualification, et qui a pourtant fini l’exécution de sa peine depuis moins de 8 ans. Il faudra, cependant, au ministre qu'il obtienne l’accord de la personne concernée. A noter encore, la disposition selon laquelle « l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues » les personnes concernées par cette mesure, prévue en 1955, qui demeure dans la version modifiée de la loi.

…et des perquisitions administratives

Autre régime revu et corrigé, celui des perquisitions administratives qui gagne, lui aussi, du terrain. Les perquisitions administratives pourront être ordonnées, de jour comme de nuit, non seulement à domicile, mais plus généralement en tout lieu. Des exceptions sont toutefois prévues « dans les lieux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes ». Si elles ne figuraient pas dans la loi de 1955, on pourra se demander si des perquisitions au domicile de ces professionnels restent possibles. Enfin la procédure applicable à ces perquisitions est détaillée.

Davantage de contrôle de la presse mais…

Au delà de ces développements, des dispositions ont été ajoutées dans la loi.

Élément important, la possibilité de contrôler la presse et les émissions de radio, les cinémas et les représentations théâtrales, disparaît de la loi. Néanmoins, et à la demande des députés, est accordé au ministre de l’Intérieur le pouvoir « de prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Ce sont ici les sites internet qui sont visés. On rappelle qu'en novembre 2014, la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a mis en place le possible retrait de contenus sur le net à la demande d'une autorité administrative (article 6-1 de la loi).

Le texte introduit aussi la faculté de dissoudre, par un décret en conseil des ministres « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent », afin de lutter contre les mosquées radicales, a notamment avancé le premier ministre, Manuel Valls.

Des encadrements ?

Trois éléments de contrôle ont été introduits ou renforcés. Tout d’abord, et à la demande des députés, l’information du parlement « sans délai des mesures prises par le gouvernement pendant l’état d’urgence » est prévu. Ensuite, est accordée la possibilité de recourir au juge administratif pour demander le contrôle de l’ensemble des mesures prises sur le fondement de la loi. Auparavant seules les perquisitions administratives et le prononcé d’une interdiction de séjour pouvaient être portés devant le juge. Enfin, les peines encourues pour non respect des dispositions de la loi sont largement augmentées, passant d’un emprisonnement situé - selon l’infraction - entre 8 jours minimum à 2 mois, au titre de la loi de 1955, à 6 mois et jusqu’à 3 ans maximum aujourd’hui. Les amendes aussi ont été relevées.

Très peu nombreux sont les parlementaires à s’être opposés au texte : seulement six à l’Assemblée nationale - trois députés dans les rangs du PS et trois au sein du groupe Écologiste - et aucun du côté du Sénat. Après 5 nuits d'état d'urgence, déjà 793 perquisitions et 164 assignations à résidence ont déjà été prononcées, a précisé le ministère de l'intérieur vendredi.

Réactions

Dans l'ensemble, l'Union syndicale des magistrats (USM) valide le nouveau dispositif sur l'état d'urgence. L’USM « est favorable au cadre prévu pour les perquisitions administratives ». Le syndicat « n’est pas opposé aux dispositions prévoyant la dissolution des associations ou groupements de fait dans les conditions prévues par le projet » (voir communiqué de l'USM daté de vendredi). Et l'USM « approuve l'aggravation des peines prévues pour les infractions de manquement à l’état d’urgence ». Néanmoins, « l’USM est très réservée sur les dispositions relatives à l’assignation à résidence dès lors que les conditions de mise en œuvre de cette mesure attentatoire aux libertés paraissent insuffisamment encadrées. Peut être visée par cette mesure toute personne à l'égard de laquelle existent "des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics" sans que soient exigés des éléments objectifs et concordants. La menace peut donc n'être ni avérée ni caractérisée alors que les restrictions à la liberté d'aller et venir sont très importantes ». Le syndicat se dit également opposé au placement sous surveillance électronique mobile.

La ligue des droits de l'homme exprime aussi ses craintes : « ce qui est ici en cause, ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’État sans aucune garantie judiciaire » (voir son communiqué de jeudi). La ligue s'interroge notamment sur les effets de la loi sur le mouvement social et la responsabilité des associations.

 

 

Sophie Bridier
Ecrit par
Sophie Bridier