Covid-19 et baux commerciaux : les conséquences de la fermeture des lieux accueillant du public
Face à la pandémie due au coronavirus, différentes ordonnances ont été prises en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Le gouvernement a ainsi pris plusieurs mesures, comme celle ordonnant la fermeture des lieux accueillant du public. Le point sur les conséquences de ces mesures sur les baux commerciaux.
La fermeture des lieux accueillant du public fait partie des mesures arrêtées par le gouvernement pour ralentir la propagation du virus. L’état du droit résulte d’un arrêté du 14 mars 2020 (JO, 15 mars) complété par un deuxième arrêté du 15 mars 2020 (JO, 16 mars). Ces deux arrêtés doivent être combinés avec le décret du 16 mars 2020, publié au JO du 17 mars 2020, qui interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sauf exception.
Dans le préambule de ce dernier arrêté, il est énoncé une règle générale : « considérant que l'observation des règles de distance étant particulièrement difficile au sein de certains établissements recevant du public, il y a lieu de fermer ceux qui ne sont pas indispensables à la vie de la Nation tels que les cinémas, bars ou discothèques ; qu'il en va de même des commerces à l'exception de ceux présentant un caractère indispensable comme les commerces alimentaires, pharmacies, banques, stations-services ou de distribution de la presse (...) ».
Les établissements recevant du public concernés par la fermeture
L’article 1er de l’arrêté du 15 mars 2020 vise les ERP concernés par la fermeture:
- « au titre de la catégorie L : Salles d'auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple ;
- au titre de la catégorie M : Magasins de vente et Centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ;
- au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “room service” des restaurants et bars d'hôtels et la restauration collective sous contrat ;
- au titre de la catégorie P : Salles de danse et salles de jeux ;
- au titre de la catégorie S : Bibliothèques, centres de documentation ;
- au titre de la catégorie T : Salles d'expositions ;
- au titre de la catégorie X : Etablissements sportifs couverts ;
- au titre de la catégorie Y : Musées ;
- au titre de la catégorie CTS : Chapiteaux, tentes et structures ;
- au titre de la catégorie PA : Etablissements de plein air ;
- au titre de la catégorie R : Etablissements d'éveil, d'enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, sauf ceux relevant des articles 4 et 5 ».
Remarque : les ERP de la catégorie M sont autorisés à maintenir leurs activités de « livraison et de retraits de commande » et ils peuvent rester ouverts pour les activités figurant en annexe de l’arrêté (notamment : commerce d'alimentation générale, commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé) ; les ERP de la catégorie N sont autorisés à maintenir leur activité de « vente à emporter et de livraison ». On notera par ailleurs qu’il n’existe pas de définition légale d’un centre commercial et qu'il faut se référer à la notion plus générale « d'ensemble commercial » définie par l'article L. 752-3 du code de commerce.
Outre ces deux arrêtés et le décret du 16 mars 2020, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, publié au JO le 24 mars 2020 permet de reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers pour les seules microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 (moins de 10 personnes ; chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros).
Plusieurs association et fédération représentatives des bailleurs (Caisse des Dépôts, CNCC, etc.), dans un communiqué de presse du 20 mars 2020, ont appelé leurs adhérents à reporter les loyers et les charges à compter du 1er avril 2020 et, lorsque l’activité reprendra, à différer le paiement sans pénalités ni intérêt de retard pour les TPE/PME (250 personnes ; CA annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros).
Enfin l’ordonnance en date du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers interdit pour les entreprises éligibles au fond de solidarité (les critères : effectifs et chiffre d’affaire sont définis par décret) l’application des pénalités, intérêts de retard, dommages et intérêts, astreinte, exécution de clause résolutoire, clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges, pour la période du 12 mars 2020 jusqu’à 2 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
De manière générale, on rappellera qu’au titre des obligations des parties, le bailleur a une obligation de délivrance rappelée à l’article 1719 du code civil. Elle oblige le bailleur à :
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délivrer au locataire un local apte à l’exercice de l’activité autorisée à la clause destination du bail et donc un local ouvert au public.
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faire jouir paisiblement le locataire pendant la durée du bail.
Quant au locataire, outre l’obligation de payer ses loyers, il peut avoir contractuellement une obligation d’exploiter son commerce dans les locaux loués. En l’absence de clause en ce sens, l’obligation d'exploiter est une condition d'application du statut des baux commerciaux, mais son inexécution ne peut entraîner la résiliation du bail (Cass. 3è civ., 13 janv. 2015, n°13-25.197 ; Cass. 3e civ., 10 juin 2009, n° 07-18.618).
Etes-vous tenu d’exploiter ?
La maladie n’empêche pas l’exécution du bail ; elle la rend plus difficile. Mais les mesures administratives de fermeture des arrêtés des 14, 15 mars et du décret du 16 mars 2020 ont plusieurs conséquences :
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elles rendent l’exécution du bail impossible,
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elles mettent les entreprises dans l’impossibilité de continuer de fonctionner dans les mêmes conditions qu’auparavant,
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elles étaient imprévisibles pour le locataire et le bailleur lors de la conclusion,
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elles ont un caractère irrésistible.
Pouvez-vous fermer si l’administration n’interdit qu’une seule partie de vos activités ?
On pense notamment à l’activité de livraison et de vente à emporter dans le domaine de la restauration, qui reste possible. La question est alors de savoir si votre enseigne est dans l’impossibilité ou non de continuer à fonctionner dans les mêmes conditions qu’auparavant. Dans l’affirmative, le bailleur ne peut pas vous contraindre à exploiter l’activité de livraison et de vente à emporter, si vous avez décidé de fermer pour protéger vos salariés et votre clientèle.
Cela suppose préalablement :
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de faire valoir que la force majeure empêche le bailleur de vous mettre un local ouvert au public dans les conditions usuelles ;
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d’opposer au bailleur l’exception d’inexécution et de justifier ainsi la non-exploitation.
Pouvez-vous fermer si l’administration n’interdit pas votre activité ?
On pense ici à l’activité alimentaire en centre-ville.
Le principe d’interdiction de déplacement du décret du 16 mars 2020 et ses exceptions limitées ont pour effet :
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la diminution forte de la consommation (la clientèle ne se déplace pas),
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la mise en place de mesures sanitaires exceptionnelles vis-à-vis de la clientèle et des salariés.
Indirectement le décret du 16 mars 2020 rend par effet de ricochet plus difficile l’exploitation. Pour les baux comportant une obligation d’exploiter, l’exception d’inexécution est envisageable. Cependant, le fait du prince n’empêche pas le bailleur de vous mettre le local à disposition : la décision de ne pas exploiter n’est donc pas sans risque.
Compte tenu du caractère exceptionnel de la pandémie, il est possible que les juridictions retiennent néanmoins qu'elle est un cas de force majeure cette fois-ci.
Pouvez-vous suspendre le paiement des loyers ?
La jurisprudence a exclu la possibilité d’invoquer la force majeure pour s’opposer au paiement : la maladie du débiteur ne rend pas impossible le paiement du créancier par une autre source de financement que celle de son activité (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306, P+B). De même, les mesures gouvernementales n’empêchent pas d’exécuter l’obligation de payer.
La force majeure ne peut pas être invoquée comme seule moyen pour ne pas payer ses loyers. Elle doit être conjuguée avec l’exception d’inexécution.
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la mesure administrative de fermeture empêche le bailleur d’exécuter son obligation de délivrance, conformément à la clause destination ;
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le locataire ne reçoit pas la contrepartie de son loyer ;
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privé de la jouissance paisible, le locataire est fondé à invoquer le principe de l’exception d’inexécution de façon proportionnée : a) si la jouissance est totalement impossible, vous êtes en droit de suspendre le paiement de l’intégralité du loyer et des charges ; b) si vous n’exercez qu’une seule partie de votre activité, le bailleur ne peut réclamer l’intégralité des loyers et des charges.
Remarque : dans le cadre de la vente à emporter et la livraison pour la restauration, si un restaurant réalise 5 % de son CA habituel (avant la pandémie) avec la vente à emporter, il serait bon que le locataire paye 5% de son loyer.
1. Réunir les éléments comptables attestant :
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la part de CA de vos activités non interdites (exemple : vente à emporter) si vous avez fermé,
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l’évolution de votre CA si vous êtes restés ouverts.
2. Opposer l’exception d’inexécution en le combinant avec la force majeure. Ce mécanisme étant préventif, il convient de l’invoquer dans les meilleurs délais. Par ailleurs, la suspension de l’exécution de l’obligation doit être notifiée par LRAR.
La renégociation pourrait être envisagée sur le fondement de l'article 1195 du code civil pour circonstances imprévisibles. Cette piste peut être invoquée par les locataires qui ne sont pas atteints par l’obligation de fermeture, mais dont le chiffre d’affaires aurait considérablement baissé et en effet, rien ne laissait présager ni l’épidémie, ni les mesures gouvernementales, ni le désastre économique.
On rappellera que l’article 1195 du code civil permet la renégociation d’un contrat lorsque trois conditions sont réunies :
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un changement de circonstances qui doit être imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
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une exécution dont la charge serait devenue excessivement onéreuse pour l’autre partie ;
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l’absence de clause faisant peser le risque sur l’autre partie.
De très nombreux contrats prévoient une clause dérogeant à l’article 1195 du code civil et cet article 1195 du code civil ne s’applique qu’aux contrats conclus après le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats). Cependant, il n’est pas exclu que la crise du coronavirus conduise les juges à admettre la théorie de l’imprévision, même pour les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme des contrats.
Remarque: pour rapporter la preuve d’un loyer excessif au regard des circonstances qui étaient inconnues lors de la conclusion du bail, il pourrait être pertinent de faire un tableau comparatif du CA avant et après les mesures.