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Action de groupe en matière de discrimination : l'employeur aura 3 mois pour agir

© Alain Jocard / AFP
Christiane Taubira présentera son projet de loi le 31 juillet en Conseil des ministres
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Le projet de loi instaurant une action de groupe en matière de discrimination au travail sera présenté en Conseil des ministres à la fin du mois. L'existence de cette action peut-elle bouleverser les contentieux en matière de discrimination, voire avoir un réel effet dissuasif ? Analyse de Laurence Pecaut-Rivolier, magistrate, et d'Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate.

Il y a encore un an et demi, une véritable action de groupe en matière de discrimination était impensable. L'idée était plutôt de mettre sur pied une action collective « allégée ». Mais chemin faisant, les choses ont évolué. Encouragé par l'action de groupe dans le domaine de la consommation et sous l'impulsion de parlementaires, l'exécutif s'est engagé dans cette voie en matière de discrimination. Le projet de loi sur la Justice du XXIe siècle qui contient cette mesure sera présenté en Conseil des ministres le 31 juillet. Actuellement examiné par le Conseil d'État, il fixe un cadre général à l'action de groupe, cadre qui se décline avec certaines particularités en matière de discrimination à l'embauche et au travail. Laurence Pecaut-Rivolier, magistrate et auteur d'un rapport sur le sujet publié fin 2013 et Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate spécialisée sur les questions de discrimination ont décrypté le texte lors d'une matinée organisée hier par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis).

Définition de l'action de groupe
L'action de groupe suppose que plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une même personne résultant d’un manquement légal ou contractuel de même nature. L’action de groupe suppose en effet qu’il existe un intérêt commun à agir, dont les caractéristiques se trouvent ainsi définies, et repose nécessairement sur des cas individuels présentés par le demandeur. L’objet de l’action est de faire cesser le manquement reproché ou de statuer sur la responsabilité en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis.
 
Les syndicats, détenteurs de l'action de groupe

Ce sont les organisations syndicales représentatives au niveau national, au niveau territorial, ou dans l’entreprise qui pourront déclencher l'action. Les associations régulièrement constituées depuis 5 ans au moins pour la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap le pourront également, mais uniquement s'agissant des discriminations à l'embauche ou pour accéder à un stage.

Une action plus efficace que l'action de substitution

Les syndicats disposent déjà de la capacité d'agir au nom d'un salarié, avec l'action en substitution. Mais cette dernière est très peu utilisée. L'une des raisons tient à la crainte de représailles, explique Emmanuelle Boussard-Verrecchia. « S'engager dans une action contre son employeur, c'est s'exposer à des mesures de rétorsion », constate l'avocate. Mais l'action de groupe pourrait changer la donne. "Tous les salariés qui répondent aux mêmes caractéristiques pourront adhérer à l'action de groupe, et sans incertitude sur le résultat. L'aléa juridique ayant disparu, il y aura l'imprimatur de la justice, même dans la relation salariés/employeur. Le rapport à l'employeur ne sera plus le même ». Laurence Pecaut-Rivolier est du même avis : « Avec ce projet de loi, il n'est pas nécessaire d'identifier dès le départ les personnes concernées. L'action en substitution c'est un procès nominatif et on ne sait pas s'il va aboutir. Là, il s'agit de toute une catégorie de salariés qui sont traités différemment ; cela facilite considérablement le fait que des salariés puissent s'y rattacher ».

L'action de groupe, un outil de prévention

Instaurer une action de groupe, c'est surtout compter sur l'effet de sensibilisation qu'elle va produire à l'égard des entreprises. « Il ne faut pas s'attendre à une floraison de procédures ; ce sera délicat à manipuler. Mais qu'une telle possibilité existe suffit », insiste Emmanuelle Boussard-Verrecchia. Et c'est bien là la philosophie du texte qui prévoit une phase de négociation au sein de l'entreprise avant de passer à la phase contentieuse proprement dite. L’organisation syndicale qui souhaite engager une action collective devra demander à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination collective. Ce dernier, dans le délai d'un mois, engagera une discussion avec l’organisation syndicale ou, lui fera connaître les motifs pour lesquels il n’y donne pas suite. Si, dans le délai de 3 mois, l’employeur n’a pas fait cesser cette situation, ce point devra être inscrit à l’ordre du jour du premier comité d’entreprise qui suit. C'est seulement si l’employeur n’a pas donné suite à la première demande ou lorsque, 2 mois après la réunion du comité d’entreprise, la situation de discrimination collective persiste, que l’organisation syndicale pourra introduire l’action de groupe.

Une preuve simplifiée

Une fois introduite, l'action de groupe permettra sans nul doute des procédures plus efficaces pour les salariés concernés. En matière probatoire, l'action collective facilitera la preuve. « C'est une évidence, estime Emmanuelle Boussard-Verrecchia. Le nombre de cas laisse supposer l'existence d'une discrimination. Cela va forcément jouer sur la perception du juge d'autant que ce que l'on traque là est la discrimination systémique ».

L'action de groupe devrait permettre également de faciliter in fine les réclamations individuelles qui s'ensuivront. En effet, l'employeur qui n'agira pas se verra délivrer une injonction sous astreinte et une amende civile. En bout de procédure, les salariés pourront agir individuellement pour obtenir une indemnisation. C'est là d'ailleurs toute la différence avec une véritable class action à l'américaine, souligne Laurence Pecaut-Rivolier. « Il n'y a pas d'indemnisation collective. On reste dans l'individualisation de la discrimination ». C'est le juge qui définira le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée en fixant les critères de rattachement au groupe. Il déterminera également les préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu’il a défini.

Action collective et prescription

Le texte prévoit des règles de coordination entre action de groupe et actions individuelles. Ainsi le déclenchement d'une action de groupe suspendra la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices qui résultent du même fait générateur. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne pourra être inférieure à 6 mois, à compter du jour, selon le cas, où le jugement n’est plus susceptible de recours. S'agissant de l'indemnisation individuelle, le caractère collectif de l'action devrait avoir peu d'effets. « Il y a de toute façon réparation intégrale du préjudice subi ; donc le nombre de personnes ne devrait pas jouer », pense Emmanuelle Boussard Verrecchia. Ce qui risque surtout de changer pour les salariés, c'est de décider d'adhérer à l'action collective là où ils n'auraient peut-être pas osé s'aventurer seuls.

Florence Mehrez
Ecrit par
Florence Mehrez